Témoignage de Gaspard
Histoire de mes grands-parents paternels
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La ligne Maginot |
Son père faisait son service militaire dans la ligne Maginot quand la guerre a commencé. Il était dans l'extrême nord-est de l'Alsace, tout près du Rhin, dans une petite casemate enterrée dans la forêt de Haguenau. Mais il y avait aussi des gros bunkers tout près et j'en ai visité un. Je ne me rappelle que du béton et des tuyaux, mais dedans il y avait tout ce qu'il fallait pour survivre longtemps, même un mini-hôpital. Pendant des semaines, de septembre 1939 jusqu'à mai 1940, les soldats attendaient les Allemands. Tous les Alsaciens et les Mosellans qui habitaient entre la ligne Maginot et la frontière allemande (601 000 personnes) avaient été évacués en 2 jours vers le centre-ouest de la France, dont beaucoup en Dordogne. Les fermes étaient abandonnées et le bétail était libre. Mon grand-père et les autres personnes de la casemate avaient trouvé un cochon et l'élevaient dans la forêt. Ils jouaient au poker pour tuer le temps avec leur chef qui était autoritaire et assez bête et qui perdait toujours sa solde (son salaire de soldat).
Un jour, mon grand-père est tombé très malade et il a été réformé (il n'était pas assez en forme pour combattre). Quelques jours après, les Allemands ont attaqué et ils ont tué ou fait prisonniers les Français.
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Paris |
Ensuite mes grands-parents ont habité à Paris pendant presque tout le reste de la guerre. Il n'y avait pas beaucoup à manger. Ils avaient ramassé beaucoup d'escargots pendant leurs congés en Bretagne, ils les avaient donnés aux parents de ma grand-mère et ceux-ci leur en envoyaient un peu de temps en temps. Je trouve ça déjà mieux que mon arrière-arrière-grand-père qui mangeait du rat pendant la Commune de Paris en 1870-1871.
Ils écoutaient en cachette Radio Moscou pour savoir ce qu'il se passait à Stalingrad. Ils ont caché Jean, le copain de mon grand-père qui voulait échapper au STO. Mais malheureusement après il a été arrêté, il a été envoyé au camp de concentration du Struthof (dans le Bas-Rhin) puis il est mort à celui de Vaihingen (en Baden-Württenberg).
Ma grand-mère aidait son amie d'enfance, Raymonde, qui était juive, à survivre (à échapper aux nazis et à la police française).
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La Dordogne |
Début 44, mes grands-parents sont allés habiter en Dordogne, à Saint-Vincent-de-Connezac. Il y avait un important maquis : beaucoup de forêts et beaucoup de résistants armés qui étaient cachés dedans. Mon grand-père était receveur du bureau de poste : vendre des timbres, faire un peu la banque, faire distribuer le courrier par des facteurs... C'était au bureau de poste que les habitants du village et des environs téléphonaient car presque personne n'avait le téléphone chez lui. Mon grand-père s'en servait pour faire prévenir les maquisards des mouvements des Allemands. Il fallait faire attention : ne pas téléphoner à n'importe qui car on pouvait être trahi, parler en langage codé car les lignes étaient souvent écoutées (Les Allemands sont à l'entrée du village = L'orage arrive (par exemple)).
Mes grand-parents habitaient dans un petit appartement au-dessus du bureau de poste.
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En mars, les Allemands ont décidé d'attaquer tous les maquis de la région et d'éliminer tous les juifs (ils étaient environ 7 000 en Dordogne qui avaient été évacués d'Alsace). Ils ont envoyé la division Brehmer dans laquelle il y avait beaucoup de soldats SS. Ils ont commencé par faire brûler toutes les forêts au lance-flammes et ça brûlait très bien parce qu'il y avait surtout des pins et de la brande (de la bruyère géante d'un mètre 50 à 2 mètres).
Un jour de mars, les SS, à 6h du matin, frappent à la porte de la poste pour prendre le contrôle des lignes téléphoniques. Mon grand-père descend et va ouvrir. L'officier SS le désigne du doigt et lui crie « Vous juif ! ». Heureusement, il a un interprète qui l'accompagne et mon grand-père arrive à faire comprendre qu'il n'est pas juif en disant qu'il est breton d'origine et qu'il n'y a pas de juifs en Bretagne.
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Une fois, un gendarme patriote, donc qui était contre Pétain, a voulu lancer une grenade sur les Allemands en plein bourg. Mais mon grand-père l'en a dissuadé en lui expliquant ce qui se passerait : quelques Allemands mourraient mais ceux qui resteraient tueraient tout le monde et brûleraient le village.
À Mussidan, la ville voisine, ils se sont amusés à tuer des gens qui cueillaient des cerises dans des arbres.
Le 14 juillet, mon grand-père et d'autres habitants du village ont fait une petite manifestation mais il fallait faire très attention parce que c'était complètement interdit et qu'on pouvait être tué par les collaborateurs ou les Allemands.
Le 8 août, ils ont tué un facteur.
À la gendarmerie, certains gendarmes étaient contre Pétain et d'autres, dont le chef, étaient pour lui. Dans les derniers jours avant la Libération, ceux qui étaient contre ont demandé aux patriotes du village d'enfermer tous les gendarmes dans la gendarmerie. Comme ça ils ne pourraient pas exécuter les ordres contre les résistants que le chef pourrait leur donner.
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Le jour de la Libération, aux environs du 20 août, mes grands-parents ont dansé toute la nuit.
Juste après, on a voulu fusiller le chef des gendarmes parce qu'on disait qu'il avait fait déporter quelqu'un du village (le père d'une amie de mes grands-parents). C'était très probablement la vérité. Mais mon grand-père a convaincu ceux qui voulaient le fusiller de ne pas le faire en disant qu'il n'y avait pas assez de preuves.
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