La pauvre veuve, en sa chaumine, à son petit chantait tout bas :
- Le flot déjà m'a pris ton frère, il l'aimait trop, ne l'aime pas !
- Berce, disait la mer perverse, serre-le bien dans tes deux bras
Berce, berce, berce ton gars (2)
Lorsque la mer était très douce, le petit gars lui murmurait :
- Espère un peu, je serai mousse, dès mes douze ans je partirai
- Rêve, disait le vent de grève, rêve au beau jour où tu fuiras
Rêve, rêve, rêve, mon gars (2)
Lorsque la mer était mauvaise, le petit gars, à demi-nu
Chantait debout sur la falaise, le front tourné vers l'inconnu
- Chante, disait la mer méchante, chante aussi fort que tu pourras
Chante, chante, chante, mon gars (2)
Un jour enfin la pauvre veuve a vu partir son dernier-né
S'en est allé à Terre-Neuve comme autrefois son frère aîné
- Danse, le flot roule en cadence, jusqu'à ta mort tu dansers
Danse, danse, danse, mon gars (2)
Son gars parti, la pauvre femme l'espère en vain depuis en vain depuis un an
En maudissant la mer infâme qui lui répond en ricanant :
- Pleure, gémis, hurle à cette heure, j'ai mieux que toi serré les bras
Pleure, pleure, pleure ton gars (2)
Théodore Botrel (1868-1925)
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