L'arrière-grand-père de Hugo
René C. dit Gilbert
 
Né le 14 février 1914, Gilbert avait 25 ans lorsqu'il est parti à la guerre de 39 - 45.
Il était marié et venait d'avoir une fille Jacqueline. Fils d'agriculteur, il l'était lui-même.
Mon arrière-grand-père faisait partie du 6e Régiment du Génie. Le génie dépend de l'armée de terre ,
ce sont des soldats qui construisent des routes, des ponts etc....Bref de la logistique en temps de guerre.
 
La compagnie du 6e du génie fut arrêtée par les soldats allemands le 23 juin 1940,
au début de la guerre à Praye en Meurthe-et-Moselle. Gilbert a donc été fait prisonnier de guerre,
lui et ses compagnons furent transférés en Allemagne près de la forêt-Noire.
Les prisonniers sont restés oisifs pendant plusieurs semaines dans les camps.
Puis quelque temps plus tard, les Allemands sont venus dans les camps, pour chercher de la main-d'œuvre,
pour travailler dans les usines ou dans les champs.
Mon arrière-grand-père a vite compris que d'avoir une activité à l'extérieur du camp
lui donnerait des occasions de s'évader.
Agriculteur de son état, il fut donc envoyé dans une ferme. Il quittait le camp le matin et
y revenait le soir après sa journée de travail. Tous les soirs les militaires étaient regroupés
et devaient rentrer au camp. Ils ne mangeaient par jour qu'une ration de ratatouille, ou de soupe,
avec une ration d'eau. Gilbert en tant que sergent conseillait aux soldats de ne pas boire trop d'eau,
mais les soldats avaient tellement faim qu'ils buvaient pour se remplir l'estomac.
Il y avait des cas de dysenterie.
 
Depuis le départ, mon arrière-grand-père ne comptait pas rester dans ce camp, il avait décidé de s'évader.
Il a donc demandé à un ami qui travaillait en usine de lui fabriquer une boussole.
Celui-ci lui en a confectionnée une avec une baleine de corset qu'il avait aimantée sur un bout.
Muni de cette boussole, l'évasion devenait possible.
Gilbert a attendu le dernier colis de la Croix-Rouge pour avoir quelques réserves alimentaires.
L'évasion fut programmée un soir avec deux amis, un jeune de 18 ans et un jeune de 22 ans.
Ils voyageaient de nuit, avec l'aide de la boussole et les étoiles. Ils avaient sur eux leurs vêtements
de prisonniers de guerre avec KG noté dessus.
 
Durant leurs péripéties, ils se sont réveillés un matin avec un fusil sous le nez au bout duquel
se trouvait un civil allemand. Il leur a demandé s'ils étaient des prisonniers évadés,
mon arrière-grand-père lui a répondu en montrant ses vêtements, qu'à l'évidence, ils l'étaient.
L'allemand leur a ordonné de le suivre.
Les trois hommes n'avaient pas le choix, ils pensaient à ce moment qu'ils étaient foutus.
Mais la chance était avec eux, l'allemand faisait partie d'un réseau d'aide aux prisonniers.
Il a conseillé aux trois Français de s'adresser aux allemands qui portaient un béret basque penché sur le côté.
Ces hommes faisaient partie du réseau d'entraide.
 
Les trois évadés sont donc passés de point relais en point relais.
Un des hommes, le plus jeune, avait les pieds tellement gonflés qu'il ne pouvait plus retirer ses chaussures.
Il a dû tremper ses pieds avec ses chaussures pour ramollir le cuir, puis ses camarades ont découpé le cuir
en bandes pour lui faire des sandales. Ils avaient aussi récupéré par le réseau des vêtements
dont les styles étaient inadaptés au voyage (mon arrière-grand-père s'est retrouvé avec une veste queue-de-pie).
Lorsqu'ils traversaient des rivières, ils essoraient leurs vêtements pour les remettre aussitôt.
Ils ont aussi pris le train sans papier et sans billets. Mon arrière-grand-père et ses compagnons
s'asseyaient toujours au milieu du wagon pour s'échapper en cas de contrôle.
Et cette stratégie leur a servi une fois : les soldats allemands sont montés à chaque bout du wagon
et ils avançaient en demandant aux passagers leurs papiers et leurs billets.
Arrivés à hauteur des Français, Gilbert leur a dit « Kamarades », cela voulait signifier
qu'ils avaient déjà été contrôlés par les autres soldats, ce qui bien sûr était faux....
 
Bref , il y a eu sans doute bien d'autres anecdotes, mais ce serait trop long de vous les raconter.
Je ne sais pas combien de temps ils ont mis pour se rendre en zone libre dans le sud de la France,
mais ils y sont parvenus sains et saufs, avec l'aide des allemands qui étaient contre la guerre et
contre Hitler, et avec l'aide de la Résistance.
 
En octobre 1941, mon arrière-grand-père a envoyé une carte à sa femme où il était écrit :
«Mon médecin m'a ordonné de changer d'air». Ce qui voulait dire qu'il s'était évadé et qu'il avait réussi.
Il reprit le chemin de Nantes avec l'aide de la Résistance. Et c'est sa belle-mère,
donc mon arrière-arrière-grand-mère qui l'a revu la première.
Elle travaillait dans son champ près de la voie de chemin de fer qui passe derrière leur maison
lorsqu'elle vit passer un train avec, à l'une de ses fenêtres ouvertes, un jeune homme maigre
qui lui faisait des signes avec ses grands bras. Elle alla voir sa fille pour lui dire :
«Tu sais, Raymonde, je crois que c'est Gilbert que j'ai vu dans le train, il est revenu...»
Gilbert est donc arrivé à Nantes par le train et il a dû trouver d'autres moyens de
transport pour retourner à Breluce. Après les charrettes, la marche à pied, il s'est emparé,
pour ne pas dire voler, d'une moto d'un soldat allemand laissée sur le bord de la Nationale
à la côte de la Seilleraie.
Mon arrière-arrière-grand-mère crut tout d'abord que les Américains arrivaient,
mais la moto était allemande et le chauffeur, c'était mon arrière-grand-père.
6 juillet 2008
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